Moment d'égarement... [ PV Sunrise ]

La glace fondait, petit à petit, dans une douceur idyllique, sur mes pattes humides. Scintillante et silencieuse, elle ne cessait de bercer ma longue attente de son murmure habituel, inaudible et attristé. Depuis combien de temps restais-je là, devant cette grotte, à écouter cette mélopée ? Certainement toute la nuit, à cause d'un simple cauchemar, mais un songe trop immonde pour ma pensée...Revoir leurs visages, entendre encore et encore leurs rires suivre la brise matinale ne m'allait guère. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine, je me retournais dans l'espoir de les revoir, de revoir à nouveau ce visage tant aimé et adulé, pour finalement retomber dans la douleur, car il n'y avait rien derrière moi, sauf la neige, l'immanquable neige qui m'a toujours suivi, qu'importe où que j'aille...Neige de mon hiver.

Le printemps fit se lever plus tôt l'astre du jour, ses rayons se reflétant sur ma robe tandis que nombre de loups dormaient dans la grotte. La période des chaleurs arrivait ; il était temps pour moi de m'éloigner un peu de ce clan qui m'avait accueilli en tant que guérisseuse, une tâche difficile quand on ne peut observer les autres souffrir le martyre...Je me suis levée, tentant d'ignorer les rires fantomatiques qui me suivaient depuis maintenant deux ans. Deux ans...Deux pauvres années, jour pour jour. Peut-être était-ce pour cela, que je n'avais pu dormir cette nuit ; il s'agissait de l'anniversaire de leur mort. Un mince sourire se peignit sur mes lèvres pendant ma marche vers La Taïga, un endroit que je connaissais désormais assez bien, y passant la majorité des périodes de chaleur pour éviter toute autre présence canine. Là-bas, j'avais de quoi me nourrir quelques temps et je revenais tous les trois jours à la grotte pour dormir, faire acte de présence, prétextant même d'aller chercher quelques herbes médicinales, chose assez inutile vu mon pouvoir.

Mes yeux ambrés, fatigués, observèrent la grande étendue blanche ; c'était encore l'hiver mais les températures restaient assez basses. Je continuais de marcher lorsque mon regard fut attiré par une robe qui ne m'était pas inconnue ; Megion était ici. Que faisait notre Alpha en cet endroit reculé ? J'ai secoué la tête, me grondant moi-même pour ma façon de penser ; il était le chef, il pouvait faire ce qu'il souhaitait, je ne devais pas m'en mêler. Je me suis pourtant approchée, remarquant quelque chose d'inhabituel, quelque chose qui ne me choqua pas mais me peina. Une larme qu'il sécha rapidement, comme s'il s'interdisait de ressentir la moindre tristesse. Peut-être me trompais-je, en tout cas je n'allais pas lui en faire la remarque. Megion était un individu que j'appréciais, pour sa manière d'agir, je n'étais pas effrayée par sa façon d'observer les autres, ses manières assez glacées. Il était ainsi, et je le respectais plus que tout. Après tout, il avait eu la délicatesse de m'accueillir au sein de son clan, avec les autres loups.

J'ai laissé un petit sourire se peindre sur mes lèvres, m'asseyant à un mètre de lui, pour lui laisser un certain espace. J'ai hoché respectueusement de la tête, en signe de salut et commença à parler, d'une voix douce :

A l'évidence j'avais surpris notre Alpha dans ses pensées et certainement son moment de tranquillité ou plutôt de tristesse...Je n'aimais pas ressentir ce genre d'émotions chez les autres ; la souffrance. On aurait dit que Megion ressentait la douleur de l'absence, étrangement je voulais l'aider, l'aider à ressentir un peu de joie, quelque chose qui lui fasse oublier cette sensation si horrible que j'affectionnais moi-même. Elle nous envenimait tous, nous hantait et nous poussait dans des abîmes trop sombres et infinis...Je n'aimais pas la souffrance et Megion semblait complètement contrôlé par celle-ci et la tristesse.

"Oh.C'est vous,une bonne chasse ? Eh bien...On peut dire ça comme ça."

Il avait détourné le regard, pour finalement laisser échapper un gémissement plaintif, ce qui me blessa. Oh, non pas mon amour propre, mais juste le fait de le voir dans cet état, lui qui arborait généralement un visage stoïque, toujours à l'écoute de son clan. Pourquoi un être tel que lui devait souffrir ? Ce n'était pas juste, et j'aurais voulu l'aider, l'écouter, qu'il se confie à moi juste pour supporter un peu le poids qui faisait courber son échine...Mais Megion n'était pas une personne qui se confiait, il gardait tout pour lui, un peu comme moi.

"Veuillez me laisser, j'ai à faire."

Encore un soupir, ce regard vide qui, je le conçois, lui offrait un charisme et une prestance inégalés malgré tout. J'ai serré la mâchoire, essayant de garder mon sourire mais mes yeux me trahissaient ; je ressentais réellement une profonde tristesse, la sienne qui plus est, non pas de la pitié mais peut-être de la compassion. Devais-je réellement le laisser seul ? Ma raison me poussait à respecter ses choix et mon cœur de l'aider, même si c'est pour m'apporter des ennuis. J'ai hoché de la tête, restant pourtant encore quelques secondes assise près de lui, finalement je me suis retournée pour m'éloigner...M'éloigner et entendre encore et encore ces rires, non, décidément, je n'arrivais pas à le laisser seul, je n'y arriverai jamais. J'allais faire une bêtise et je n'étais même pas à ma place pour seulement la tenter.

Je me suis à nouveau approchée, m'asseyant à quelques centimètres de l'immense alpha, gardant mon sourire, et ma manière d'agir. J'ai utilisé les influences de ma capacité pour tenter de calmer un peu son esprit, peut-être...Je n'essayais pas de faire comme les charmeuses, loin de là cette idée, je le respectais beaucoup trop pour seulement tenter, et j'avais surtout l'esprit autre part, tout comme le cœur. J'ai doucement fermé mes paupières, attaquée par un nouveau et douloureux souvenir. Je ne devais pas me laisser aller, alors j'ai gardé ce mince sourire et j'ai demandé d'une voix toujours hésitante :

"Je peux vous aider...?"

Finalement, avais-je bien fait de rester ? Il allait le prendre mal, et je n'avais pas à m'occuper de ses affaires. Je savais que je n'avais pas à m'en mêler et pourtant...J'ai retenu un soupir, souhaitant me montrer le plus aimable possible. Je ne demandais pas à devenir sa meilleure amie, ni même une confidente, mais je voulais être là, pour l'aider, comme la bonne petite idiote que j'étais.